Portrait de Francis Pressecq – « Être agriculteur dans la Réserve naturelle »
La Réserve naturelle est connue pour ses ramiers boisés, ses zones humides et la confluence des deux cours d’eau qui façonnent l’identité du territoire sud-toulousain. Ces paysages naturels côtoient également des terres cultivées, dont une partie d’entre elles font partie de la Réserve. Francis Pressecq, agriculteur sur la commune de Venerque, y travaille depuis plusieurs années. M. Pressecq nous raconte ici son histoire et son engagement de plus de dix ans aux côtés de la Réserve naturelle et des autres acteurs du territoire.
« Je suis Francis Pressecq, je gère la SCEA (Société Civile d’Exploitation Agricole) de Jordi, qui couvre près de 180 ha de cultures. L’histoire agricole de ma famille remonte à 1886 où nous avons débuté avec 8 ha en polyculture. Je représente la cinquième génération à cultiver ces terres.
Depuis 1986, nous nous consacrons essentiellement aux cultures céréalières : blé, orge, sorgho… En fonction de la qualité des sols ! Nous avons aussi essayé de diversifier avec des pois et des pois chiches. La relève est assurée avec la sixième génération qui commence à s’installer. Ma fille Julie s’est installée et reprend une partie de l’exploitation dédiée aux grandes cultures tandis que mon fils, tout juste diplômé d’un doctorat, est passionné par la polyculture et le maraîchage bio. »
Les origines du partenariat avec la Réserve naturelle
« En 2010, Le SICOVAL est devenu propriétaire d’une partie des terres que je cultive. Par le biais de l’intercommunalité, j’ai été associé au groupe de travail visant à améliore l’aménagement du ramier de la Riverotte, à Clermont-le-Fort. À l’époque, le ramier présentait déjà de nombreux défis : incivilités, dépôts sauvages et absence de délimitations claires entre les espaces. Mes cultures étaient parfois saccagées.
C’est à cette occasion que j’ai rencontré l’équipe de la (future) Réserve naturelle, qui était alors encore en projet. Avec les habitants, le SICOVAL, la Réserve et les associations comme CAMINAREM, nous avons travaillé à l’implantation de haies pour délimiter les espaces de promenade des espaces cultivés. Le dialogue entre toutes les parties impliquées était déjà constructif.
Lorsque la Réserve naturelle a été créée en 2015, l’idée de faire vivre une activité agricole dans un espace protégé m’a tout de suite séduit ! Nous avons travaillé ensemble pour la préservation de la Nigelle de France. »
Des actions concrètes pour la préservation de la Nigelle de France
La Nigelle de France est une plante protégée au niveau national, qui cale son cycle de vie sur celui des cultures. Elle est dite « messicole » (liées aux moissons). L’espèce pousse sur un des champs cultivés par M. Pressecq, lorsque la culture lui est favorable (culture de céréales à paille). La Nigelle de France fleurit une première fois juste avant la récolte, et peut fleurir de nouveau après la moisson. La plante peut ainsi monter en graine puis se disséminer, à moins que les terres ne soient travaillées à ce moment précis.
« En collaboration avec la Réserve, j’ai adapté les pratiques culturales sur la parcelle où pousse la Nigelle. Nous avons vu ensemble que la période la plus sensible pour l’espèce survient au moment de la récolte, ainsi que les semaines suivantes. Nous avons donc essayé de mettre en place un déchaumage (NDLR : l’action de travail du sol qui permet de mélanger les « pailles », c’est-à-dire les restes de récolte, à la terre) dit « tardif ». Après la récolte, la parcelle reste au repos jusqu’à fin septembre-début octobre. Je reprends ensuite un travail classique pour préparer la culture de l’année suivante. Nous avons commencé à expérimenter en 2019.
J’aimerais souligner que la SCEA ne constitue pas mon seul revenu. C’est un des facteurs qui me permet de mener des expérimentations qui peuvent parfois impacter les rendements des parcelles. La parcelle où se plait la Nigelle de France ne produit pas autant que les autres par exemple. L’école d’agronomie de Purpan y est venue d’ailleurs faire des analyses en 2015, fournissant des informations précieuses sur la qualité du sol, mais il reste des facteurs de succès ou d’échec à découvrir. »
L’équipe de la Réserve naturelle suit l’espèce dès que la culture en place permet son développement. La Nigelle de France a progressé sur la parcelle depuis 2019. En 2024, 286 pieds ont ainsi été recensés sur la station contre une cinquantaine en 2019. Au moment du suivi, la surface occupée par la plante est également cartographiée.
L’évolution du Ramier de la Riverotte observée depuis le tracteur
« Depuis 2010, le ramier de la Riverotte a bien évolué, avec une véritable mise en valeur du quartier. J’ai d’ailleurs quelques clichés pris en 2010 lorsque j’ai commencé à travailler avec le SICOVAL. Je trouve la séparation entre les zones de culture et de promenade plus harmonieuse, et mes cultures sont davantage respectées. Le public de visiteurs est plus familial, et j’ai constaté une diminution des incivilités autour du lac.
L’installation des haies ne m’a pas posé de problème pour travailler car les emplacements ont été bien pensés en amont. Seule une haie a été plantée par erreur sur une parcelle appartenant à un riverain, et le chemin de la Riverotte présente quelques contraintes pour les machines agricoles, mais rien de majeur. J’apprécie dans l’ensemble ma collaboration avec la Réserve, le SICOVAL, les riverains… Si on repense aux objectifs fixés par le SICOVAL de 2010, ils sont, en ce qui me concerne, atteints. La Nigelle semble également bien se porter, c’est sûrement que nos expérimentations fonctionnent, mais les suivis permettront de le confirmer (ou non) dans le futur. »
Le Ramier de la Riverotte en 2015, vu des champs cultivés par M. Pressecq
(Crédits: Francis Pressecq, 2015)
Le ramier de la Riverotte en 2024
(Crédit : C. Jouneau)